En 1976, le premier cinéma Utopia voyait le jour à Avignon. Depuis le réseau a augmenté avec 5 autres cinémas présents à Bordeaux, Montpellier, Paris, Saint Ouen l’Aumône, Toulouse. La petite commune de Pont saint Marie est en passe de devenir la 7e ville à accueillir des salles Utopia (4 salles pour un total de 298 places, dont une salle dédiée à l’éducation à l’image, à l’environnement et à l’accueil d'œuvres alternatives locales). Derrière ce projet, il y a une femme Anne Faucon, mais aussi tout un réseau de cinémas qui la soutient dans son projet qui mêle proximité, citoyenneté, éducation populaire et écologie.
Je ne vais pas vous réécrire les grandes lignes du projet que vous trouverez très bien expliquées sur les sites internet indiqués à la fin de cet article.
Je vous incite à soutenir et à parler de ce projet ambitieux et salutaire pour le cinéma troyen. Attention, il n’est pas en opposition avec le multiplexe que vous connaissez bien, il est complémentaire, il comble un manque. Beaucoup de Troyens attendent un projet de ce type depuis longtemps.
Cependant, j’ai posé quelques questions à Anne Faucon, afin de planter le décor.
Comment êtes-vous tombée dans la marmite du cinéma, et surtout art et essai.
Comme Obélix : je suis tombée dedans quand j'étais petite, par ma famille. Je m'en suis éloignée un temps, commencé une carrière de fonctionnaire territoriale… Puis j'y suis revenue, par goût de transmettre ma passion du cinéma, par goût du plaisir d'accueillir. C'est un extraordinaire espace de liberté, d'échange qu'un lieu comme Utopia. Même si les premières années après sa création ne furent pas toujours roses. Il a fallu s'acharner pour parvenir à survivre…
Quels sont vos styles, réalisateurs, films préférés ? ou votre bouillon cinématographique ?
C'est dur ! Il y en a tant ! Parlons des réalisatrices du coup, ça en fait moins : Agnès Varda, Colline Serreau, Céline Sciamma, Maïwenn, Marjane Satrapi, Moufida Tlatli, Deniz Gamze Ergüven, Naomi Kawase, Sofia Coppola, Alice Rohrwacher, Andrea Arnold, Valérie Donzelli, et j'attends avec impatience de voir ce que deviendront les filmographies de Maryam Touzani, Mati Diop, Mounia Meddour, Sarah Gavron, Charlène Favier…
Mais j'ai des goûts très éclectiques, j'aime tous types de films tant qu'ils sont bien faits, qu'il y a du sens, qu'ils enrichissent mes sens, ma réflexion. Cela va du cinéma dit "social", au cinéma de genre, en passant par les documentaires, les comédies, les films d'animation ou musicaux, en passant par la trop rare SF intelligente…
Comment en êtes-vous venus à développer un projet à pont sainte marie, alors qu'avant vous étiez dans le sud ?
Oui, née à Marseille et depuis novembre 1993 à Utopia Toulouse, puis Tournefeuille. Cela fait un moment que j'avais envie de monter ma propre structure. En regardant la carte de France, les rapports que le CNC (Centre National de la cinématographie) édite chaque année, il apparait nettement que l'Aube est une sorte de "zone blanche" pour l'Art & Essai. L'Aube est dans le triste palmarès des départements les plus sous-équipés de France en matière de cinéma d'Art et Essai. Les distributeurs indépendants français avec lesquels nous travaillons nous le disaient : plus de 200 petites et moyennes productions, qui font notre miel, ne sont encore pas passés à Troyes l'an dernier, d'autres sont restées trop peu de temps à l'affiche… Une étude de marché indépendante et approfondie est venue confirmer la pertinence d'une implantation dans la région de Troyes, en évaluant le potentiel d'entrées annuelles réalisables à 100 000 !
Pour l'heure vous êtes seule en local pour développer ce projet ?
Oui et non… Le soutien de la Mairie, des entreprises locales, des cinéphiles qui relaient les informations, soutiennent avec des mots, donnent des participations pour la campagne de crowdfunding. C'est une chouette vague solidaire, de témoignages, de petits gestes qui portent ! Mais effectivement pour l'instant, tout ce qui est fait, c'est énormément d'engagement, sans salaire. Je me verrai mal demander une telle chose à d'autres…
Comment s'est faite la rencontre avec Pont-sainte-Marie ?
Ils nous ont contacté à la suite d’un article paru dans la presse, en découvrant qu'on avait proposé à la mairie de Troyes de leur acheter un terrain pour s'implanter sur la ville.
Peut-on dire que la démarche d'Utopia (national et Pont-sainte-Marie) engagée, militante ?
Défendre les films de qualités, qui ne bénéficient pas des mêmes outils que les grosses productions est forcément un engagement fort, ainsi que favoriser l'accès à la culture pour tous à des tarifs démocratiques, non élitistes. Notre rôle c'est d'être des transmetteurs, des passeurs… d'accueillir et de mettre les personnes à l'aise, de leur donner envie… de les rendre curieuses de ce dont elles n'ont pas entendu parler. D'aller les tirer par la manche, si elles n'arrivent pas jusqu'à nous…
Pensez-vous qu'il y ait une culture art et essai chez les Aubois ?
Pourquoi les aubois seraient plus couillons, moins curieux qu'ailleurs ? J'ai rencontré, en distribuant des tracts dans votre région des tas de personnes qui font des virées jusqu'à Paris pour voir des films qu'ils n'ont pas à Troyes. D'autres qui ont fait leurs études à Toulouse, Montpellier, Bordeaux ou connu Utopia lors du festival d'Avignon. Ils disent qu'ils sont impatients d'avoir la même chose près de chez eux. D'autres qui étaient bordelais, et ont migré à Troyes pour le travail ou une histoire d'amour, se disent déçus de l'offre cinématographique.
Pourquoi mettre autant l'accent sur l'écologie dans ce projet (jardins collaboratifs, énergies renouvelables, toilettes sèches, circuits courts) ?
Tout le monde devrait mettre l'accent sur l'écologie : elle est un des rares outils à portée de main pour éviter, ou du moins limiter, de futures pandémies, les futures catastrophes qui nous pendent au nez, celles en cours. C'est dramatique ce qui se passe pour ceux qui sont au bout de la chaîne : par exemple les habitants d'Arlit (NDR : ville du Niger qui subit les conséquences de l’extraction de l’uranium), pour les populations qui vivent d'agriculture vivrière, les petits pêcheurs, les 1, 6 milliards d’individus (1 personne sur 5 de la population mondiale) qui n'ont plus d'eau non polluée pour boire, qui en tombent malades et qui en meurent…
La crise sanitaire actuelle bouleverse-t-elle vos objectifs ?
Cela a un peu ralenti au niveau du permis de construire… Mais pas tant. Au contraire, cette pandémie qui est liée à la perte de la biodiversité nous a conforté dans l'idée que ce projet était légitime. D'autant que notre système de filtration de l'air permet de le débarrasser des virus en 10 minutes…
Propos recueillis par Brice Vanel
EDIT 2021 : La marraine de la salle spécialisée dans l'éducation à l'environnement et l'image sera la cinéaste Agnès Fouilleux avec son film "Etre plutôt qu'avoir"
EDIT 2022 : Pour suivre l'actu et avoir le programme des projections à venir, une seule adresse : www.cinemas-utopia.org/pontsaintemarie
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