Noon fait partie de ces figures locales discrètes et humbles dans le microcosme culturel troyen. Je le croise régulièrement depuis des années dans divers événements culturels, sans avoir pris le temps de discuter avec lui de son travail artistique. Appréciant son esthétique, j’ai voulu aller plus loin et découvrir le parcours et l’univers de cet artiste aux multiples supports ! (interview réalisée dans les conditions du confinement).
Avant de marquer les individus dans leur chair avec de l’encre, Noon a travaillé une dizaine d’années dans le textile comme beaucoup de Troyens. Il préparait des plannings de production, puis à vite bifurqué dans l’assistance technique en Syrie et au Maghreb essentiellement.
Avant de s’orienter vers le tatouage puis la production artistique, Noon a eu la chance d’assister et de participer à l’émergence de la scène punk française dès 1980/81:
« Je m’y suis frotter de façon plus ou moins active (et plus ou moins réussie d’ailleurs) en tant que musicien, organisateur de concert, d’expos, de fanzine, et en tant que tatoueur aussi. A Troyes, l’époque était riche, la jeunesse était vraiment dans l’expérimentation tout azimut… Que ce soit musicalement, mais aussi artistiquement. Tout le monde semblait avoir son mot à dire, quelque chose à faire… C’était vraiment très créatif et c’est une dynamique qui ne m’a jamais lâché. Ça ne bougeait pas qu’à Troyes (Paris bien sûr, mais aussi Reims, Dijon, Saint Dizier, Auxerre). Les gens n’hésitaient pas se déplacer pour un concert ou une expo un peu barrée… Je n’ai jamais revu une telle dynamique depuis. », raconte Noon.
Concernant le tatouage, Noon explique comment il en est venu à tatouer : « J’ai grandi au milieu du tatouage. J’ai grandi au milieu des derniers « blousons noirs », des repris de justice et autres voyageurs… Quand j’étais gamin, j’ai l’impression qu’il y avait une certaine « normalité » du tatouage. Je trouvais « classe » tous les « grands » garçons et filles tatoués qui trainaient leurs savates dans le quartier. Donc, dès que j’ai pu, j’ai appris en autodidacte. Vers 15/16 ans quand le « punk » s’est pointé, cela a été la porte ouverte à toutes les fenêtres. On a commencé à se tatouer entre nous. Le virus s’est installé et personne n’a encore trouvé le vaccin ! Aujourd’hui cela fait une quarantaine d’années que je tatoue !»
Bien qu’il soit 100% autodidacte techniquement et artistiquement, il a eu la chance de croiser des personnes importantes :
« J’ai rencontré deux tatoueurs avec qui nous avons bousculé les codes d’une pratique qui était très codée à l’époque. Je veux parler de Lionel (Out of step) et Yann Black. A cette époque, (au virage des années 2000) nous pouvions encore écrire cette page et nous avons posé les bases de ce qui allait devenir la veine graphique et j’ai modestement amené ma contribution à ouvrir le tatouage à une création artistique d’approche plus contemporaine. Artistiquement parlant, Picasso est toujours et restera toujours pour moi ma référence maitresse. Mais j’aime l’art de façon générale où des artistes, dont beaucoup de tatoueurs, continuent de m’émerveiller par leur créativité… Et sûrement de m’influencer à l’insu de mon plein gré. »
Dans les autres moments marquants, il y a son passage dans un salon privé de tatouage et galerie d’art à New York : « Je suis arrivé presque à la création du lieu Tattoo culture, donc c’était super intéressant. Le lieu est vite devenu incontournable pour les amateurs de tatouage avant-gardistes et beaucoup d'artistes maintenant bien installés sur la scène actuelle y ont fait leurs premières armes. Dan diMattia était déjà présent, mais des artistes comme Xoil, Jubs, Otto d'Ambra, Gene Coffey et bien d'autres y sont passés jusqu'à ce que les américains durcissent les conditions d'entrée. Le shop existe toujours mais dans une version différente du coup. J'étais là-bas de 2008 à 2015. A l'époque je faisais 2 mois USA, 2 mois Londres et 2 mois Berlin. »
Aujourd’hui, Noon a volontairement éloigné son travail de celui de tatoueur en l’orientant vers la production artistique plurielle, dont le tatouage n’est qu’un médium.
« Une partie de ma production artistique se développe autour de l’encrage dans la peau car c’est le tatouage qui a été le vecteur principal de mon développement artistique. J’adore la lino gravure même si je n’en fais pas assez à mon goût. J’ai adoré travailler autour du bois quand j’ai eu mon atelier à Ginkgo. Mais je n’ai pas réellement de préférence. Je suis curieux donc je saute vite d’un support à l’autre. J’ai aussi fait quelques sérigraphies avec Nico de l’atelier OASP. Je pense d’ailleurs retravailler un projet avec lui cette année si les circonstances nous le permettent. A suivre. », ajoute-t-il
Il complète en évoquant le style qu’il souhaite donner à son art : « En ce moment, je reviens à mes premières amours : la ligne. Mais je travaille maintenant en négatif sur des grosses pièces en noir. J’ai pas mal de créations « black is back » qui sont sur le feu en ce moment, que j’aimerais bien voir aboutir. En tout cas, je suis en perpétuelle recherche de nouvelles pistes. Avec le développement des réseaux sociaux, notre travail est de plus en plus pillé sans vergogne, il faut sans cesse se remettre en question. Ça peut être fatiguant mais c’est aussi stimulant…»
Noon n’est pas un tatoueur qui a pignon sur rue, normal puisque pour lui ce n’est pas son métier, il précise :
« Je vends des œuvres avant de vendre des tattoos. Les clients qui viennent pour un tatouage ne savent pas vraiment ce qu’ils vont avoir. Ils me donnent un thème et je crée autour. C’est une démarche complètement différente de celles des tatoueurs de shop qui sont beaucoup plus contraint à travailler avec les demandes du client. Même si l’effet de mode récent a permis à beaucoup de se spécialiser. De plus, je travaille essentiellement avec de la clientèle étrangère et notamment anglo-saxonne. Il est donc plus simple pour moi de retrouver les clients chez eux. C’est pourquoi, je travaille régulièrement à Londres et Berlin et depuis l’année dernière à Mexico city.»
Il arrive que Noon fasse des expos pour présenter son travail et les supports qu’il affectionne. Ce fut le cas au sein de la galerie d’art Passeart à Troyes, où il fit même une performance étonnante :
« J’ai fait une expo chez Piero. Ce fut une expérience vraiment intéressante car j’avais envie de présenter une série d’œuvre qui puisse aussi fonctionner comme un tout lors de l’expo et je l’avais pensé ainsi. Je suis très content de ce que nous avons présenté. Concernant la performance, ce fut une création live à partir de dessins réalisés sur « post it » par le public lors du vernissage. Ce que j’ai aimé dans cette expérience, c’est l’adrénaline de créer dans l’immédiateté et la contrainte une œuvre aussi importante et aussi irréversible qu’un tatouage (en l’occurrence on a travaillé sur un bras complet réalisé sur une journée). Ça a été émotionnellement très fort. J’ai d’autres performances en tête mais qui n’ont malheureusement pas pu encore être réalisées. »
Vu que la musique a eu une place prépondérante dans son évolution artistique, j’aborde avec Noon la question de la musique lors de ces sessions de tatouage : « Quand je travaille, je joue plutôt de la trance, « chillout » ou « ambient », mais suivant l’humeur, ça peut vite partir psytrance… De temps en temps, j’ai une période « post punk ». La nostalgie.
Enfin, régulièrement dans le fil d’actualité du travail artistique de Noon, on voit apparaître des baguettes, pains et viennoiseries réalisés par ses soins. Normal que je l’interroge sur ces nouvelles productions :
« Le pain est quelque chose qui m’a toujours intéressé. J’ai fait l’année dernière (en septembre 2019) une initiation en permaculture (après avoir poncer le sujet quelque mois auparavant). J’y ai rencontré des gens de tous horizons avec des projets très très différents. J’avoue que je ne savais pas trop encore ce que j’attendais vraiment de cette initiation sinon d’obtenir des réponses. Et je pense les avoir trouvés en recentrant mes aspirations autour du pain. J’ai donc décidé de me lancer dans un CAP avec dans l’idée de fond d’amener mon étude sur le pain vers une démarche permaculturelle. Pour beaucoup, la permaculture est une méthode de jardinage alors que le jardinage est une application de la pensée permaculturelle. J’ai envie de retrouver les bases d’une production de pain qui puisse se travailler selon ces principes (blé ancien, levain, cuisson au feu de bois). Ma volonté est de pouvoir proposer par la suite une production d’un pain populaire, solidaire, social. Aujourd’hui, il y a un retour à une nourriture saine, responsable, mais qui ne s’adresse qu’à une clientèle bourgeoise ou bobo et n’est absolument pas accessible à tous… Le pain est un aliment de base et j’aimerais pouvoir à terme pouvoir proposer un pain sain, respectueux et accessible à tous. Disons que le projet est dans l’objectif. Il reste à le réaliser. Pour le moment, j’étudie le pain, chaque chose en son temps… C’est un produit très complexe qu’il faut savoir apprivoiser. C’est vivant, capricieux. Je me donne encore un an pour y voir plus clair et maitriser la bête. J’y travaille beaucoup, 2/3 jours par semaine en moyenne et c’est vraiment, vraiment très intéressant. »
Pour suivre l’actualité de Noon, deux adresses :
https://noontattooart.blogspot.com/
Le portrait de Noon en couverture de cette article a été réalisé par le regretté Gaël Van Dongen, photographe de talent!
Pour voir son travail : https://gael-vandongen.com/
Une fois le confinement fini, des portraits made in Les Troyes sens seront mis avec cet article!