Quelques années en arrière, j’ai croisé le chemin de Jérémie Hainaud (43 ans) lorsque j’étais rédacteur en chef du journal 10 de Cœur. Il participait à la mise en page du journal et faisait des illustrations selon les besoins. Et puis nos chemins se sont séparés après avoir quitté le 10 de Cœur. Une récente exposition au Rucher créatif et des apparitions graphiques dans la rue m’ont poussé à le revoir et à échanger sur son parcours, ses travaux en cours, sa démarche et ses projets graphiques.
Quel est ton parcours personnel ?
Je possède un BAC Pro industries graphiques et un DUT SRC (sciences des réseaux et communication) qui m’ont permis de travailler plusieurs années en imprimerie, puis est venu la période 10 de Cœur. J’ai appris la poissonnerie, eu plusieurs boulots alimentaires, et géré une association sportive. Aujourd’hui, je suis père au foyer, tout en développant mes projets artistiques.
Artistiquement, quel est ton parcours justement ?
Je suis autodidacte, j’ai bien tenté les beaux-arts à deux reprises mais je n’ai jamais réussi à y rester très longtemps. J’ai commencé par la bd en concoctant mes premiers fanzines. J’ai élaboré des pochettes cd « fabriquées maison » pour des rappeurs locaux. J’ai également vendu quelques faire-parts, logos et maquettes de livres de cuisine à mon compte.
J’ai élaboré plusieurs affiches pour l’EMCI (espace musicale culturel d’insertion) et le festival Zoulou dance. Cela m’a permis de faire ma première expo, puis j’ai a enchaîné avec les évènements « Troyes, capitale de la paix ». Je m’occupais de la partie visuelle, avec la conception d’affiches, de livrets ; et une exposition à la médiathèque de Troyes, qui a ensuite pas mal tourné dans des lycées et collèges. J’ai eu également l’occasion de faire une expo sur le thème des quartiers populaires dans le quartier où j’ai grandi (les 20 arpents à Pont-Sainte-Marie).
Le râtelier graphique, est né quand et pourquoi ?
J’ai commencé à signer « Le Râtelier Graphique » en 2012. Je collais le logo de la main aux notamment sur les travaux pour Zoulou dance et Capitale de la paix. Mais il est vraiment né quelques années plus tard quand j’ai eu accès au petit atelier au fond de mon jardin.
Le Râtelier graphique, c’est un rat d’atelier avec une batterie d’outils graphiques pour nourrir un large éventail de réalisations. Je suis très indépendant, je suis en mesure de créer, fabriquer, promouvoir par mes propres moyens. A terme j’aimerai bien ajouter quelques moyens de fabrication et un point de vente pour être tout à fait complet.
Le râtelier graphique c’est entre fanzine et édition DIY ?
Effectivement certains de mes travaux finissent en fanzines ou livres DIY rudimentaire, où j’utilise le duo agrafeuse/massicot. Produire des supports simples et pas chers pour faire circuler des idées me convient bien. Pour les livres que j’ai auto-édités et illustrés en 2018 (textes par Abes Aserb), je suis passé par de l’impression offset, j’avais envie que ce soit nickel.
Tu fais aussi de l’illustration et des tableaux ?
Je suis encore débutant sur toile. En illustration, j’ai fait beaucoup de noir et blanc (dans les deux livres cités au-dessus) et récemment je me suis lancé dans une série couleur sur des sujets de société.
Techniques préférées ?
Pour les travaux en couleurs j’utilise beaucoup de feutres acryliques type « Posca » associés à des feutres alcool type « promarkers », avec parfois un peu d’aquarelle pour les fonds. Pour les toiles, c’est plutôt Posca et peinture acrylique. J’aime bien aussi le collage, j’en fais un peu avec des restes de croquis ou de la récup’. J’utilise également les mises en couleur et montages numériques pour certains usages. Ma base graphique est quand même le travail en noir et blanc, crayon de papier / encrage, avec ou sans niveaux de gris, ça dépend des projets et des envies. En ce moment je me mets de plus en plus au graffiti, j’adore…
Quels sont tes influences ?
Gamin j’étais très fan de comics américains, de Spiderman et des Xmen, j’imitais les dessins, je faisais des petites bd sur le modèle du jeu vidéo Double Dragon. Adolescent, j’ai dérivé vers Fluide glacial. J’avais usé les Dingodossiers et Rubrique-à-brac (Gotlib) de mon père alors que je ne savais pas encore lire. Il y a aussi les BD de Will Eisner ou Robert Crumb, avec des histoires en noir et blanc très ancrées dans le quotidien.
J’ai grandi dans le hip hop des années 90-2000, cette culture m’a fait me creuser la tête dans l’objectif de dire des choses intéressantes dans mes dessins.
Je suis un amoureux des livres, ils sont une importante source d’inspiration/motivation, je me rappelle plus de la moitié des titres tellement j’en ai dévoré. Ils ont nourri et fait avancer mes réflexions sur le moment.
En ce moment j’aime bien certaines BD horreur/violence/délire du label 619 par exemple. Sur instagram j’aime beaucoup certains travaux de Iconeo et Ezekiel Mourra.
Comment t’es venu l’idée de déposer des fanzines, livrets dans des espaces publics ou boîtes à livre ?
Il y a l’idée, un peu illusoire et naïve, d’amener des idées gratuitement à ceux qui n’iraient pas dans les lieux culturels. Les idées devraient être accessibles à tout le monde, ce qui est le cas avec les boîtes à livres ou les médiathèques par exemple, mais dans la limite des choses disponibles.
Par ce biais, j’avais l’envie de donner au fanzine une dimension street art. OnDaGround c’est un projet sans pression ni trop de contraintes sur le contenu et la parution. Probablement que certains exemplaires se retrouvent à la poubelle, mais j’ai eu quelques échos de gens qui l’ont trouvé.
Pour les livres dans les boîtes, j’ai vu passer une publication sur les réseaux sociaux de quelqu’un qui cherchait les adresses des boites à livres. Noël approchant ça m’a donné l’idée d’offrir une partie des livres qui me restent en stock.
C’est important aussi de t’exprimer dans la rue par des collages ? Pourquoi ?
Avec un copain on parlait de faire « l’affiche parlante » : deux modèles d’affiches parlantes ont été collées à ce jour. Puis s’est ajouté le collage de mes affiches promotionnelles, et de dessins peu vus, histoire de leur donner une seconde vie. L'art dans la rue, il n’y a rien de plus vivant, kiffant et euphorisant !
Il y a un côté assez militant dans certaines de tes illustrations ? Pourquoi ?
Je réagis au monde qui m’entoure et si j’ai une idée que je juge intéressante sur un sujet je la mets en forme. Cela peut parfois être juste une idée graphique ou humoristique. J’aimerai bien évoluer vers des dessins plus « en action » qu’« en réaction », j’entends par là des dessins qui présentent une vision, une évolution possible, des perspectives, des idées nouvelles, plutôt que des constats. J’essaie de ne pas être provocant, quelqu’un que tu braques ne sera pas vraiment réceptif. Si mon activité artistique contribue un tout petit peu à alimenter quelques réflexions ou inspirations, dans un bon sens, c’est déjà pas mal.
Quels messages te paraît le plus important ?
Le message serait de ne jamais perdre sa libre pensée au gré des tendances et autres « théoridéologies » mieux ficelées qu’un scénario hollywoodien. Il faut éviter une pensée trop binaire. L’époque tolère de moins en moins de nuances, pourtant la vérité est éparse, personne ne la détient pleinement. La libre pensée c’est aussi accepter de vivre avec certaines incertitudes et questions en suspens, ou en mouvement.
D’autre part, il me parait important de ne pas tordre son art ou ses idées pour courir l’argent. Le mieux, c’est d’être sollicité pour ce que l’on est, ce que l’on fait.
Enfin, le plus important actuellement serait de ralentir le rythme de la rentabilité, de la production et de la consommation.
Quel moment est important pour toi dans ton parcours ?
Le moment que je retiens comme important dans mon parcours artistique, c’est la sortie des livres auto-édités en 2018, parce que cela a pris un certain temps à aboutir. C’est aussi à partir de là que j’ai commencé à présenter mon travail, dans les marchés de l’art, les expos et les réseaux.
Mon évènement marquant personnel (hormis la naissance de mes enfants) n’est pas artistique, Suite à deux AVC simultanés, sans séquelles par chance, j’ai accusé le coup psychologiquement, cela m’a fortement remué, mon temps s’est raccourci. A partir de là j’ai commencé à me recentrer sur ce qui est important pour moi, et à vraiment avancer sur les projets qui me tiennent à cœur
Ton actu ? à venir ?
Une bonne partie des dessins noir et blancs issus des livres que j'ai auto-édités sont exposés chez Zolane Vintage. Je proposerai bientôt, via les réseaux, le recueil d’illustrations « 2020 », qui réunit les desseins de société en couleur. Je prévois une seconde série de dessins de société très prochainement.
Depuis peu, je me suis lancé dans une aventure associative orientée street art et dessin/créa avec des amis : Murs Vivants
Où trouver tes productions, comment se les procurer ?
Les livres « Bipèdes » et « La vie des uns des si » sont disponibles chez Zolane Vintage, Urbain IV Gallery (avec quelques originaux), Chez Poppy brocante urbaine et également chez Les passeurs de textes. Les passeurs de textes et Zolane Vintage doivent aussi avoir « L’échelle de Dick » une publication un peu plus ancienne, une espèce de bande illustrée.
Il est également possible de se les procurer auprès de moi directement, en me contactant via les réseaux (le râtelier graphique sur fb et insta) ou par mail (jeremie.hainaud@gmail.com). Pareil pour les dessins originaux des livres ou les toiles. J’assure la livraison en mains propres si mon vélo ne déraille pas en chemin, dans l’agglo troyenne.
Les fanzines il faut les trouver quand c’est le moment, depuis que je suis sur les réseaux sociaux je publie des photos des lieux où j’en laisse.
(Propos receuillis par Brice Vanel)