Depuis quelques années, j’avais perdu la trace d’un graffeur avec qui j’avais sympathisé dans le milieu des années 90 au détour de mes balades dans les friches et de mes activités journalistiques. Il y a peu, j’ai renoué un lien avec lui via les réseaux sociaux. De là, j’ai appris qu’il vivait au Canada, mais surtout, j’ai découvert qu’il venait cet été à La Chapelle Saint Luc pour réaliser une fresque sur l’entrepôt de l’entreprise Morin Surface. L’occasion était trop belle pour réaliser une interview et tirer le portrait de Ankhone (aka Mikaël Carriau).
Mikaël Carriau, grenoblois, adepte de skate, attrape le virus du graff à l’âge de 17 ans avec un pote. Il découvre en 1992 des graffeurs tels que Mod2, Bando, Boxer, BBC. En parallèle, il effectue ses études, un BTS « imprimerie, industries graphiques », une remise à niveau dans le Nord, puis il atterrit à l’école des arts appliqués de Troyes en 1996 pour valider un diplôme autour du graffiti. Une fois son diplôme obtenu en 1999, Ankh utilise un atelier au sein de la galerie « Les Caniches Modernes » et en parallèle bosse en tant que graphiste pour le magazine de référence du graffiti « Graff it ! ». Il réalise aussi des fresques à droite à gauche pour des particuliers, des magasins et des collectivités. Le graffiti reste encore une passion. En 2001, il intègre un collectif de graffeur, le 9e concept avec des noms comme Alex1, Mambo, Jerk45, Ned, Carricondo. Les allers-retours sur Paris se font fréquents.
En 2006, il sévit dans une très belle exposition personnelle à la Maison du Boulanger. C’est à ce moment qu’il quitte Troyes, pour s’installer à Paris. Il s’investit à fond dans le collectif 9e concept. Cela dure un temps, et en 2008, il décide d’avoir son espace à soi et devient freelance.
L’été 2010, il visite un ami à Montréal au Québec. Ankh découvre une ville électrique, qui bouillonne de festivités, les nanas sont très libres. Il tombe amoureux de l’une d’entre elles. En 2011, il s’installe là-bas. « C’est l’énergie féminine qui a drivé ma vie », admet-il ! Il est vrai que ses derniers travaux de peinture sur Troyes et sur Paris laissaient une grande place aux femmes dans les sujets !
L’année suivante, il rencontre le collectif canadien Ashop (vient d’une expression québecoise « je vais ashop », je vais à la chope/dans l’entreprise qui vend telle ou telle chose). « Cela m’a permis donc de travailler régulièrement sur tous supports, mais aussi d’apporter mon expérience en tant que graffeur pour développer le domaine des fresques murales. Après ça, je suis devenu salarié chez eux et j’ai obtenu ma nationalité canadienne. En termes de graff/fresque murale, le Québec est une région où tout est à faire », explique-t ’il.
En tout cas, le collectif Ashop commence à avoir une très bonne notoriété en Amérique du Nord, preuve en est les travaux qui lui sont confiés et les déplacements qu’il effectue. « Récemment nous avons réalisés une fresque qui change de couleur avec la température pour une des plus grosses entreprises d’Amérique du Nord ! En 2018, nous avons été invités au Miami Art Basel qui rassemble les grands noms des "arts publics et urbains". C’est une vraie reconnaissance de notre travail. Il nous est arrivé aussi de venir récemment à Grenoble pour le Street art festival sous la bannière d’Ashop. Les organisateurs ont été surpris de voir qu’il y avait un frenchie dans le collectif, d’autant plus que je suis originaire de Grenoble. » raconte Ankh.
Concernant la fresque murale sur la façade de l’entrepôt Morin Surface, le lien s’est fait par facebook. « Béatrice et Damien Morin, qui gèrent l’entreprise, voulaient dynamiser leur entreprise en égayant la façade. Ils m’ont dit on a un projet, est ce que ça t’intéresse ? J’ai dit ok mais je leur ai dit je suis au Québec. Ils ont réfléchi et ont dit on y va ! ».
Le challenge de la fresque était de rendre la façade de Morin Surface colorée, lumineuse, dans une zone industrielle tristoune. « Suite à ma proposition, Béatrice et Damien voulaient quelque chose de plus coloré. A la deuxième proposition, c’était bon. Je leur ai proposé des formes colorées, ludiques qui pourront servir d’identité visuelle notamment pour le courrier. »
La réalisation de cette fresque a été un gros challenge que Ankh a relevé en 15 jours de travail acharné bien souvent sous le soleil de ce début d’été. Ankh a peint 300m2 de façade métallique (souvent à l’aide d’une nacelle) avec 250 bombes de peinture acrylique dans une quarantaine de couleurs.
Je vous invite à aller voir sur place le résultat de ce travail. Cela se situe au 18 rue des Frères Michelin à La Chapelle Saint Luc.
«Ce sont les sessions de graff sur Troyes avec mes potes Alexone, Vers et Cooler, bien souvent dans des usines à l’abandon. De tout ça, est née une belle amitié !»
«Le premier, c’est une commande que l’on a eue avec Cooler et Alexone. Nous avions des planches de bois à peindre en blanc pour un client dans une usine (d’où nous ne pouvions pas sortir), seul hic nous n’avions pas pris les rouleaux. On a dû étaler la peinture avec du carton !
L’autre souvenir est moins drôle. Suite à une peinture illégale en Belgique, j’ai eu droit à une course poursuite avec la police, une arrestation et un flingue pointé sur la tempe.»